« Le yoga consiste à se détacher de toute activité des sens. C’est en fermant les portes des sens, en gardant le mental fixé sur le cœur et en maintenant l’air vital au sommet de la tête que l’on s’y établit. », Bhagavad-Gîtâ, verset 8.12
Pour un Yogi, il est souvent séduisant de chercher à réduire l’importance accordée aux besoins élémentaires du corps en favorisant la privation volontaire comme une victoire contre soi-même, niant ainsi les sensations telles que la fatigue (restriction du temps de sommeil), la faim (jeûne intense), etc. Dans cette ambition, le fait de nier sa corporalité s’associe au fantasme de n’être plus qu’un pur Esprit, en quête d’une communion et d’une union divines.
En Inde, on appelle ces êtres les Sanyasi, les « renonçants ». En effet, ces êtres décident volontairement de renoncer au monde matériel pour s’engager dans une quête mystique dans laquelle le corps n’a d’autre d’intérêt que de contenir leur Ame le temps de leur vie actuelle jusqu’à l’incarnation suivante, dans la volonté de mettre terme à ce cycle des réincarnations qui empêche leur Ame d’être libre de toute enveloppe corporelle.
A son stade le plus abouti, le Sanyasi est appelé Videha, que l’on pourrait traduire par « désincarné » ou « libérés vivant » (Yoga-Sutra I.19 : Bhavapratyayo-videhaprakritilayânâm). Etant sorti de son corps et détaché des expériences sensorielles qui y sont associées, le Videha ne souffre plus de culpabilité, de frustration, d’insatisfaction et de déception.
Si l’on faisait une lecture trop littérale de ces concepts, on pourrait conclure que le corps fait obstacle à l’atteinte du plus haut degré de spiritualité et, à travers la recherche de satisfaction d’intérêts primaires, il serait ce qui nous pousse à entreprendre des desseins nous éloignant d’une quête spirituelle hautement supérieure.
En résumant ainsi, on peut être tenté de mettre en œuvre une lutte entre le corps et l’Esprit dans laquelle on voudrait voir triompher ce dernier sur le cadavre de chair auquel se réduirait le corps. Pour ce faire, il s’agirait de mettre en place une sorte de croisade contre tout ce qui vient du corps jusqu’à en anéantir tout désir et, au-delà, tout besoin. On pourrait prendre l’exemple de certaines ascèses dans lesquelles la préoccupation à ce qui est nécessaire à la survie du corps (notamment le sommeil et l’alimentation) n’est en fait qu’une perte de temps et d’énergie . Cela détournerait l’individu de la quête fondamentale et subtile du développement spirituel de sa Conscience pure.

Le Bouddha suivra la voie de l’austérité ascétique pendant plusieurs années, il en mourut presque avant de suivre la voie du milieu et d’atteindre l’éveil.
Parfois, dans des cas extrêmes1, des comportements autodestructeurs peuvent être adoptés. Dans l’adversité de l’expérience de la souffrance physique endurée, l’idée est probablement alors de renforcer l’esprit, de repousser les limites de la tolérance à la douleur. Voici, à l’œuvre, la volonté, voire le besoin, d’aller toujours au-delà de ses limites, d’aller vraiment jusqu’à côtoyer la douleur pour réussir à pouvoir mieux l’apprivoiser. Peut-être afin de parvenir à mieux surmonter la sournoise souffrance à venir dont l’individu pourrait être la victime impuissante.
On peut même supposer que s’imposer physiquement la souffrance pourrait être une manière de s’empêcher de s’attacher à la vie terrestre de façon à rendre moins terrible son achèvement, au moment de la mort. Se priver de plaisir, se maintenir dans la douleur permet de ne pas se laisser aller à prendre goût à quelque chose dont il faudra se séparer, à savoir sa propre vie.
Chez les Sanyasi, il existe donc en eux la volonté de se tenir à une ascèse austère dans la volonté d’anesthésier leurs sens afin d’éviter toute expérience du plaisir qui créerait un attachement à la vie.
Il semblerait que, dans cette volonté, ils puissent trouver une sorte d’extase à travers l’intensité de se sentir exister. Il s’agirait de l’expression du sentiment et de la sensation de n’être réellement en vie qu’en expérimentant le vertige de la mort par l’intermédiaire de la concrétisation d’une certaine souffrance, qu’elle soit physique et/ou, d’ailleurs, mentale. Tout se passe comme si se sentir exister ne pouvait être qu’à travers la contemplation de la fragilité même de cette existence , c’est mettre à l’épreuve l’existence pour lui accorder davantage de valeur.
Toutefois, dans son livre Yoga et spiritualité2, Arnaud Desjardins met en garde contre cette tendance à vouloir trop bien faire, à espérer gagner l’Eveil par le mérite dans cette quête de perfection et de pureté absolues à laquelle on peut être mal préparé et qui alors éloigne de soi-même. En effet, pour lui, « l’Illumination se reçoit, elle ne se gagne pas. Il faut se mettre en position d’être prêt, à travers la pratique du yoga, mais il n’y a pas de logique. Ce n’est pas parce que l’on a souffert, martyrisé son corps que la récompense tombe comme un fruit mûr. »
Le rejet du corps et de ses expériences sensorielles amènerait plutôt à se décentrer, à chercher le divin en dehors de soi-même alors qu’il se trouve en dedans. Et le Yoga se propose de lever le voile de l’ignorance qui empêche l’Homme de découvrir sa véritable nature, c’est-à-dire le divin qui se trouve en lui.
Il est donc important de mettre en garde contre une compréhension trop radicale du concept de Tapas, les « austérités », mentionné dans les Yoga-Sutras. Si, dans le Kriyâ-Yoga (Livre II des Yoga-Sutra), Patanjali insiste sur la discipline, la ligne de conduite à tenir, il faut savoir interpréter cette ascèse, ces « austérités » avec discernement. Il s’agit en réalité de considérer le corps comme un temple qu’il faut respecter au moyen d’une purification intégrale : se nettoyer de toutes les couches superficielles qui nous voilent, nous colorent et nous empêchent ainsi d’être dans la transparence qui nous permettrait de prendre conscience de la Lumière qui nous habite.
Si les « austérités » entraînent de la souffrance et amènent à nous éloigner de nous-mêmes, nous nous écartons du chemin que Patanjali nous invite à suivre pour connaître la joie intense de l’état d’Union (Samadhi), cette union avec nous-mêmes, avec notre Etre profond, avec la Lumière qui brille en nous. En agissant ainsi, dans un mépris de nous-mêmes, dans une violence envers nous-mêmes, c’est comme si nous faisions en sorte d’éteindre cette Lumière qui nous illumine : nous nous enfermons alors dans l’obscurité, aveugle au fait que c’est à ce qui est le plus précieux en nous que nous portons préjudice.
Il suffit de se pencher à nouveau sur le texte (Yoga-Sutra II.35 : Ahimsâpratishthâyâm-tatsannidhau-vairatyâgah) pour lire qu’il est impératif de se préserver de toute violence, que celle-ci soit produite envers autrui ou envers soi-même. Lorsque la bonté, Ahimsâ, est profondément installée en soi, la bienveillance qui en découle favorise la paix et la réconciliation, notamment avec nous-mêmes, ce qui nous rapproche de l’Esprit subtil qui nous vit en nous.
Nous voici ainsi fermement invités à pratiquer un respect bienveillant, que ce soit envers les autres ou envers nous-mêmes, y compris, donc, envers notre propre corps. Car le corps a sa place à jouer en tant que vecteur nous reliant à notre qualité d’humain. Par là même, il nous permettrait de sublimer chaque expérience corporelle, sensorielle, intellectuelle ou émotionnelle en les recyclant en une source d’enseignement utile à notre développement plus subtil, spirituel.
« Svavishaya asamprayoge cittasya svarûpânukâra iva indriyânâm pratyâhârah », Yoga-Sutra II.54
Séparés de leurs propres objets, les sens sont sous la gouvernance de l’esprit. Voilà ce qu’est Pratyâhâra, la discipline sensorielle.
Pratyâhâra, la rétraction des sens, est une notion importante en Yoga. Cedpendant, il est important de préciser que Pratyâhâra n’est pas synonyme de négation, voire même de réjection de l’activité sensorielle. Il ne s’agit pas de s’aventurer dans une lutte acharnée contre ces sensations qui habitent en nous ; la non-violence, Ahimsa, est d’ailleurs un principe fondamental du Yoga.
Au contraire, le Yoga invite avec beaucoup de justesse à se mettre à l’écoute de ses ressentis. Alors que les refouler ne ferait que les renforcer, reconnaître et même accepter ces perceptions sensorielles permet de mieux en saisir la substance afin de mieux s’en détacher.
La pratique de Pratyâhâra consiste en fait simplement à s’abstraire de la confusion qui entraîne l’assujettissement à ces sensations et donc à dépasser le trouble dans lequel elles nous plongent.
Concrètement, on pourrait dire que Pratyâhâra est une attention au vécu sensoriel vu de l’intérieur. Ce n’est pas le froid, le chaud, la fatigue, la douceur, la soif, etc. que l’on observe, c’est plutôt ce que l’expérience de ces sensations produit en nous.
Pratyâhâra est donc à considérer comme un outil nous permettant d’accéder à une meilleure connaissance de nous-mêmes afin de parvenir, à terme, à ne plus vivre nos interactions avec le monde extérieur comme une confrontation, productrice potentielle de souffrance.
Par la rétraction sensorielle, c’est-à-dire l’observation de nos sens depuis l’intérieur de nous-mêmes, nous développons un moyen fabuleux de nous sentir incarnés. C’est remettre la vie dans ce qui est pour l’instant sa place, c’est-à-dire dans le corps. C’est rester présent à soi, plutôt que se perdre au-delà de nos propres frontières corporelles dans des territoires que nous n’avons pas le pouvoir de maîtriser.
Dans les Yoga-Sutras (I.35 : Vishayavatî vâ-pravrittirutpannâ-manasah-sthitinibandhinî), Patanjali nous dit que, grâce à une saine attention à nos organes sensoriels (Jnana Indriyas), notre mental se stabilise dans une conscience intime de notre espace intérieur. Nos sens constituent donc une voie efficace pour nours permettre d’approcher au plus près l’état de Yoga (défini par l’aphorisme I.2 comme l’arrêt total de toute fluctuation du mental : Yoga-cittavrittinirodhah).
Alors, pour mettre en œuvre cette belle invitation, à partir de l’association de chaque sens à un élément que l’on m’a enseignée au Krishnamacharya Yoga Mandiram, je vous propose de pratiquer cette méditation que j’ai créée :
Commencer par venir poser sa conscience dans l’élément terre, Prthivi. Venir sentir, au sens propre et figuré, la terre sur laquelle on repose, sentir l’odeur de la terre dans laquelle on s’enfonce, dans laquelle s’ancrent nos racines. Terre qui donne vie, terre dans laquelle la vie s’achève ; terre qui nourrit et fortifie, terre dans laquelle viennent s’enterrer les tensions, les lourdeurs, les soucis. Laisser les narines se dilater et humer le parfum d’une fleur qui, à l’inspir, s’ouvre, dévoile son cœur et s’épanouit. Puis expirer profondément, laisser chaque partie du corps s’abandonner, avec confiance, à la terre.
L’attention se laisse ensuite porter sur l’élément eau, Apa. Les mâchoires se décontractent, les dents se desserrent, la langue se décolle du palais, laisser la salive venir en bouche et déglutir pour mieux goûter et savourer les fruits de la détente profonde induite par le souffle. Se laisser bercer par la respiration qui agit en soi comme une vague : à l’inspir, la vitalité, l’Energie, la Source vient nous abreuver et nous nourrir ; à l’expir, la vague se retire et emporte au large les tensions physiques et mentales à la dérive.
Venir ensuite observer l’élément feu, Agni. Laisser filtrer, à travers les paupières closes, la lumière et la chaleur du feu. Visualiser une flamme, vive et ardente. Elle grandit, attisée par la force de l’inspir pour apporter dynamisme et joie de vivre ; elle rapetisse, à l’expir, et brûle, consume, calcine toutes les tensions, toutes les toxines jusqu’à les réduire à l’état de cendres. Les obstacles à la clairvoyance sont éliminés, le voile qui recouvre la vue et empêche de voir sa véritable nature est levé.
La conscience se dirige à présent vers l’élément air, Vayu. Laisser la peau être caressée par l’air qui l’entoure, ressentir sur chaque parcelle du corps la douceur de l’air, si subtile, presque imperceptible. Et venir poser une main sur la poitrine, une main sur le ventre. Laisser l’air, le souffle toucher les mains, les soulever légèrement à chaque inspir, les abaisser délicatement à chaque expir. Ressentir aussi sur la peau des narines et alentour la fraîcheur de l’air neuf qui est inspiré puis, l’air réchauffé par son séjour dans le corps qui est expiré.
Enfin, se mettre à l’écoute de la présence en soi de l’élément espace, Akasa. Venir entendre le message3 transmis par la souffrance qui réside en soi. En tirer les enseignements essentiels permettant de s’en libérer et de lever enfin le voile assourdissant de la confusion. Entendre chaque son qui émane de soi : le chant du souffle et des battements du cœur qui viennent résonner en soi à l’unisson. Etablir alors la communication avec sa propre Lumière. L’écouter au plus profond de soi. Se laisser habiter par elle. Et reposer en elle. Entrer dans la fusion. Samadhi.
« L’être connaît la perfection du yoga, le Samadhi, lorsque, par la pratique, il parvient à soustraire son mental de toute activité matérielle. Alors, une fois le mental purifié, il réalise son identité véritable et goûte la joie intérieure. En cet heureux état, il jouit, à travers des sens purifiés, d’un bonheur spirituel infini. Cette perfection atteinte, l’âme sait que rien n’est plus précieux, et ne s’écarte pas désormais de la vérité, mais y demeurera, imperturbable, même au cœur des pires difficultés. Telle est la vraie libération de toutes les souffrances nées du contact avec la matière. » Bhagavad-Gîtâ, verset 6.20-23
Ainsi, inciser son corps afin d’en extraire toute expérience sensorielle reviendrait à la fois à se préserver de la souffrance générée par la frustration et la déception et en même temps à s’abstenir de tout plaisir suspecté de créer un attachement nous renvoyant à notre insuffisance intrinsèque. En réalité, par cette anesthésie voire même par cette euthanasie des sens, l’extase mystique recherchée ne peut être qu’illusoire : s’amputer de ses sensations amène non seulement à se couper du monde mais aussi à se couper de soi-même.
Or, quoi d’autre justifierait le sens de notre existence dans ce corps qui est le nôtre si ce n’est l’expérience de toute cette palette de sensations et d’émotions qui nous sont données de vivre jusqu’à nous permettre de les transcender ?
À travers la pratique qui allie la conscience, le corps et le souffle et à travers la pratique de Pratyahara, le Yoga nous enseigne en fait à ne pas (ou plus) nous sentir esclave d’une incarnation qui serait perçue comme l’obstacle à notre élévation spirituelle. Notre condition d’être humain n’est pas destinée à nous éloigner du divin, elle est au contraire destinée à nous en rendre si proches que nous ne faisons plus qu’un.
1 On peut penser aux sacrifices et aux mutilations opérées dans certaines tribus africaines ou australes lors de rites religieux. Ou encore, par le passé, à l’auto-flagellation de certains religieux de confession chrétienne.
2 Arnaud Desjardins, Yoga et Spiritualité, l’Hindouisme et Nous, 1964
3 Le message dont il est question ici est celui donné par la souffrance et qui, une fois entendu et compris, permet d’entreprendre une démarche de transformation. C’est ce qui est évoqué dans l’aphorisme 12 du Livre II des Yoga-Sutras : Kleshamûlah-karmashayo-drishtâdrishtajanma-vedanîyah

À Propos de Marie Ghillebaert
Marie a étudié la sociologie et l’ethnologie. L'humain l'intéresse. Elle étudie, pratique et transmet le Yoga avec enthousiasme. Après avoir suivi une formation Viniyoga avec Claude Maréchal, elle a été diplômée ETY et elle est à présent enseignante IFY . Au cours de plusieurs stages, elle a reçu l'enseignement de Michèle Lefèvre (Yogamrita) en Yoga et Ayurveda. Considérant qu'elle a encore tout à apprendre, elle fait de chaque voyage en Inde l'occasion de développer son expérience et sa connaissance du Yoga en suivant des enseignements de différentes traditions. Le Yoga qu'elle transmet est ainsi le fruit des diverses inspirations qui l'épanouissent dans sa pratique personnelle et qu'elle a à cœur de partager avec ses élèves à Lille et dans les Flandres
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'Pratyâhâra, la place des sens dans la quête de l’Extase' have 7 comments
17 décembre 2014 @ 0 h 40 min Denis Billo
Force est de constater que beaucoup ne s’arrêtent qu’a la vision des Yamas et Niyamas dans Patanjali et en oublient la 3ème partie la plus belle de son texte « Les Yoga Sutras ».
Dans le 3ème livre, Patanjali nous parle vraiment de ce que peut faire vivre le Yoga à celui qui a aiguisé ses énergies et son esprit à Samyama : « la convergence ». Je pense que le message de Patanjali dans cette partie du texte surpasse de très loin tapas et les austérités qui finalement il ne retient pas vraiment lui même puisqu’il nous dit d’avoir des postures stables et agréables.
Mais regardons un peu ce 3ème paragraphe :
3 21. En dirigeant la même concentration sur la forme du corps, la puissance de perception d’autrui ne s’exerce plus, car le contact avec la lumière de ses yeux se trouve supprimé. Le corps devient donc invisible.
3 22. Si on l’applique au devenir, entamé ou latent, ou aux présages, on est exactement renseigné sur l’heure de la mort,
3 23. à l’amitié et aux autres qualités, c’est la force occulte de ces vertus qui survient;
3 24. à la puissance de l’éléphant, par exemple, on obtient cette même puissance.
3 25. Se fixer volontairement sur la lumière intérieure apporte la connaissance de tout ce qui est subtil, caché et lointain.
3 26. De la parfaite concentration sur le soleil découle la connaissance de l’univers,
3 27. de celle sur la lune, la connaissance des constellations,
3 28. de celle sur l’étoile polaire, la connaissance des mouvements des étoiles,
…
Le corps ainsi transcendé par pranayama, la clé réelle du Yoga, devient le temple dans lequel les expériences les plus subtiles peuvent alors lieu et il nous montre bien autre chose qu’une anesthésie ou une euthanasie des sens, il semble que ce soit tout l’inverse et que le Yogi si il le souhaite puisse trouver l’isolement dans le Samadhi mais aussi la fusion avec des accointances si belles que toutes ses perceptions s’en trouvent transcendées et apportent la véritable connaissance de tout…
17 décembre 2014 @ 23 h 09 min Marie Ghillebaert
Oui, c’est tellement juste, Denis ! Un grand merci pour la pertinence de ce complément à l’article !
Un de mes professeurs du Krishnamacharya Yoga Mandiram avait raconté que, à la fin de l’enseignement qu’il reçut de Sri Ramamohan Brahmachari, Krishnamacharya souhaitait consacrer le reste de sa vie à méditer dans une grotte au pied du mont Kailash. Mais Sri Ramamohan Brahmachari l’en dissuada et lui conseilla plutôt d’aller dans le monde, de fonder une famille et de transmettre l’enseignement qu’il a reçu. Et comme nous le savons tous, c’est ce qu’il fit. Et heureusement ! Sans cela, à l’heure qu’il est, nous ne serions probablement même pas en train d’échanger sur ce sujet !
Je ressens vraiment un lien avec tout cela. Selon moi, la spiritualité démarre déjà ici, déjà maintenant ; notre Esprit n’a pas besoin de quitter notre corps pour déjà s’élever. Comme vous le mentionnez si bien, le livre III des Yoga-Sutra parle très clairement des siddhis que nous obtenons par la pratique. Malheureusement, ce livre n’est pas autant étudié et commenté que le livre II, sans doute parce que ce dernier est plus « concret » et donc plus « parlant » pour la plupart. Il faut tellement de précautions pour évoquer le domaine de l’immatériel et du spirituel… Et c’est pourtant si important.
Parfois, on rencontre des discours ésotériques un peu extrêmes, la préconisation d’une recherche de purification tellement excessive qu’elle entretient une forme de culpabilisation chez certaines personnes qui se sentent alors « polluées » par leurs propres sensations et émotions. Or, je suis convaincue que la recherche de « pureté », de « perfection », de « sainteté » ne nous amène pas à nous élever spirituellement. Le plus souvent, c’est même le contraire qui se produit. Cette recherche éperdue peut nous écarter du monde et de nous-mêmes. Et je pense que c’est le plus grand danger qui puisse exister : vivre hors de soi. D’après moi, la « pureté » dont il est question ne s’obtient pas pour elle-même. C’est ce que Patanjali nous dit lorsqu’il invite à « abandonner les fruits » : ce que nous obtenons ne nous appartient pas, il ne s’agit pas d’une fin en soi, ni même d’une récompense, cela arrive lorsque cela doit arriver, lorsque notre dévotion dans la pratique nous a rendu mûr, prêts à récolter et à être récolté. Et notre vie actuel, dans le corps que nous habitons actuellement, avec toutes les sensations et toutes les émotions que nous expérimentons fait pleinement partie de ce processus. Et c’est tellement beau lorsque l’on parvient à comprendre et à accepter cela. Tout est déjà là, nous n’avons pas besoin d’attendre de devenir « purs », « parfaits » ou « sains » pour attribuer à notre existence toute la subtilité de sa raison d’être.
18 décembre 2014 @ 0 h 40 min Billo Denis
Je n’ai pas rencontré le Yoga à travers Krishnamacharya et je crois que si j’avais du rencontrer le yoga à travers la vision de ce monsieur je ne serais pas allé bien loin. Son orgueil était assez insupportable pour la plus part des gens qui l’on rencontré et je ne trouve rien de bien vibrant dans ce film « le souffle des Dieux » ou on ose dire qu’il fut le maître des maîtres.
C’est surtout une méconnaissance de la transmission du Yoga à travers le tantrisme qui laisse les occidentaux croire à cela et je vous conseille de lire ce qu’en pense David Dubois dans son étude bien précise sur « l’usurpateur du Yoga » comme il le nomme dans son blog, la vache cosmique.
J’ai rencontré que très tardivement la vision très aseptisée du Yoga de Krishnamacharya et vraiment dans mon cas il n’a jamais été une source d’inspiration, tout au contraire…
Pourquoi parler de siddhis en relation avec le troisième livre de Patanjali, alors qu’il ne s’agit que de subtilités à partager avec nos élèves et si simples à rencontrer pour peu qu’on sache utiliser cette sublime technique de samyama et bien sur la transmettre…
Ces perceptions subtiles et simples permettent de rencontrer la puissance de l’esprit par le fait que nous devons dépasser et oublier notre « forme humaine » afin de révéler le fait que nous sommes des êtres célestes. Ce chemin se fait par une vraie connaissance et une vraie recherche poussée dans la maitrise du pranayama, ce que peu de gens tentent dans les nouveaux styles de Yoga loin de la tradition et souvent apporté par les descendants de Krishnamacharya.
Nous ne sommes pas un être humain vivant une expérience spirituelle, mais un être spirituel et céleste vivant une expérience humaine et le Yoga est là pour nous révéler cette réalité, il nous faut augmenter notre taux vibratoire pour accéder aux perceptions justes de la manifestation et de l’esprit.
18 décembre 2014 @ 22 h 19 min Marie Ghillebaert
Oui, en effet, Denis, je partage votre avis au sujet du film Le Souffle des Dieux qui tend à ériger Krishnamacharya comme celui sans qui le yoga n’existerait pas. C’est fort regrettable que pour beaucoup les origines du Yoga démarrent avec les débuts de l’enseignement de Krishnamacharya alors qu’il ne fût qu’un maillon – certes important – de la chaîne de transmission du Yoga. L’engouement qui existe autour de lui a malheureusement occulté les apports de nombreux grands maîtres restés hélas dans son ombre.
Cependant, il faut reconnaître que c’est grâce à lui et à ses héritiers (Pattabhi Jois, B.KS. Iyengar, et son fils Desikachar) que de nombreux Occidentaux (dont je fais partie) ont pu accéder à la découverte du Yoga. Alors peut-être que cette voie d’accès au Yoga n’est pas la meilleure (je serai d’ailleurs très heureuse que vous puissiez partager votre propre expérience de découverte du Yoga), mais au moins elle a en tout cas le mérite d’avoir éveillé chez de nombreuses personnes un intérêt pour cette pratique dont la richesse est si vaste. Le premier pas est important, même si il est malhabile. Ensuite, tout reste encore à apprendre et c’est ça qui est tellement intéressant. Merci à vous, donc, pour avoir pris le temps de commenté ici. Vous m’amenez à m’interroger et à développer encore davantage ma curiosité (décidemment, je ne sais encore rien du Yoga…:-) ) et ça c’est un bel acte de générosité : donner à l’autre l’opportunité de faire mûrir ses connaissances, d’affiner sa compréhension et d’explorer ce qu’il n’aurait pu expérimenter sans cela.
Quant à votre phrase : « Nous ne sommes pas un être humain vivant une expérience spirituelle, mais un être spirituel et céleste vivant une expérience humaine et le Yoga est là pour nous révéler cette réalité. »… C’est d’une telle justesse ! C’est exactement cela qui m’a amenée à commencer le Yoga. C’est, selon moi, grâce à cela, grâce au fait que nous sommes des êtres spirituels, que cette expérience humaine trouve sa justification : à travers la pratique du Yoga, elle doit nous servir à prendre conscience de cette spiritualité qui nous définit par essence.
1 septembre 2015 @ 14 h 49 min Denis Billo
Je reviens sur cette page où Arnaud Desjardins nous a laissé une idée finalement assez noire de tapas…
Je voulais tempérer son idée que Tapas serait quelque chose de brûlant, voir même destructeur à cause des « austérités »…
Il me semble que c’est ce qu’un occidental pourrait entrevoir de cette pratique quand il ne l’a pas pratiqué lui-même…
On pourrait la comparer à ce que pourrait dire un amateur dans un sport qui voit un sportif de haut niveau dans ce même sport se restreindre à une discipline de fer pour accéder au meilleur de sa forme. Il est évident que cet amateur ne peut voir qu’une chose extérieur et tenter de calquer son expérience sur les actions du sportif de haut niveau en ne pouvant accéder au plaisir et à la compréhension des actions que peut vivre ce sportif.
Car si il y a tapas, cela doit se passer dans un plaisir profond et non dans une mortification douloureuse…
Le moment de Tapas est souvent un moment qui dur quelques temps, parfois quelques mois…
Le pratiquant est pris dans le plaisir des énergies qui se manifestent et lui confèrent des possibilités de compréhension, de perception hors du commun des mortels, en lui une immense saveur apparaît qui transcende sa condition humaine.
Tapas n’a donc rien de destructeur, tout au contraire !
Le Samkhya nous propose cette vision à la strophe 50 :
•:• KÂRIKÂ 50
Des neuf sortes de satisfactions:
-quatre concernent la satisfaction du milieu mental (esprit). Ce sont celles de Prakrti, des objets de culte, du temps, du destin.
-cinq concernent les satisfactions provenant du renoncement aux objets extérieurs (relatifs aux expériences sensorielles).
Bien sur pour nous les satisfactions provenant du renoncement aux objets extérieurs risquent de devenir très rapidement des frustrations car nous sommes soumis à cette pensée que nous valons bien le fait de tout avoir, tout connaitre et que les secrets ne devraient plus exister, mais force est de constater que les secrets deviennent de plus en plus secrets, cachés…
NB Marie Ghillebaert, si vous voulez en savoir plus sur moi vous pouvez lire ma page de présentation ici :
http://www.yoga-darshan.com/parcours_denis_billo.php
1 septembre 2015 @ 23 h 07 min Marie
Bonsoir Denis,
Je pense en effet que, dans l’imaginaire occidental, le terme « austérité » est effectivement connoté négativement. Pour tout vous dire, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je n’aime pas trop ce choix de traduction française pour « Tapas ». Et c’est pour cette même raison que je prends des pincettes (matérialisées par les guillemets dans le texte) lorsque j’emploie le mot « austérité »… C’est ce que je précise d’ailleurs : « Il est donc important de mettre en garde contre une compréhension trop radicale du concept de Tapas, les « austérités », mentionné dans les Yoga-Sutras. »
Comme vous le soulignez avec justesse : « si il y a tapas, cela doit se passer dans un plaisir profond et non dans une mortification douloureuse… »
Or, la plupart du temps, la plupart des gens a tendance à classer les choses de façon catégorique (bien-mal, blanc-noir, chaud-froid, plaisir-souffrance, etc.). Mais ce n’est pas à vous que je vais enseigner la non-dualité, n’est-ce pas ? 😉 En revanche, la compréhension et l’intégration de cette notion de non-dualité ainsi que du sens de la nuance est sans doute l’enseignement dont le monde a le plus besoin. Un monde qui ne se lasse pas de ses propres contradictions en se laissant détruire par son enivrement dans des plaisirs artificiels (que je ne me permettrai pas de citer ici, chacun y reconnaîtra ce qu’il veut bien y reconnaître…), tandis qu’il repousse avec véhémence la discipline qui lui semble faire entrave à sa liberté et à son plaisir, alors que c’est justement le contraire. Tapas, cette discipline dont il est question dans le Yoga n’est en aucun cas un carcan de barbelés qui mutile du plaisir de vivre. Il s’agit au contraire d’un escalier (qu’il faut certes prendre la peine de monter) vers la Félicité et la Libération. Ca vaut tout de même nettement plus la peine que le petit plaisir et la prétendue liberté qui ne sont rien d’autre qu’illusoires !
Je crois tout comme vous, Denis, que « Tapas n’a rien de destructeur, tout au contraire ! ». Selon moi, Tapas, lorsqu’il est compris et pratiqué avec discernement, et non pas interprété comme une ascèse sacrificielle qui finalement aurait pour seule conséquence l’hypertrophie d’un ego livré au défi envers la vie et la mort comme ce à quoi semblent parfois s’adonner certains pratiquants pour se donner l’illusion d’être plus puissants que le Tout-Puissant…
Non, selon moi, loin d’être destructeur, Tapas est plutôt constructeur ou reconstructeur (selon le cheminement de celui qui en entame la pratique).
Ce qui me semblait surtout important dans cet article c’était de nuancer la compréhension parfois extrémiste de Tapas que l’on trouve chez certain(e)s (dont je vous avouerai avoir fait partie). Il arrive parfois que, par excès de volonté et par souci de bien faire, de trop faire et de trop bien faire, on peut adopter un comportement autodestructeur en pensant ainsi se rendre « méritant » et digne de l’élévation spirituelle. (J’ai d’ailleurs développer ce sujet dans l’article suivant : http://www.yoganova.fr/vivez-et-mangez-ceci-est-votre-corps-livre-pour-vous/).
Tout cela est bien dommage parce que cette connotation douloureuse et pénible de Tapas peut alors être dissuasive pour d’autres qui, à juste titre, ne souhaitent pas en arriver là. Car Tapas n’est ni une punition, ni même une expiation. C’est plutôt une évolution, une ascension, peut-être même une voie d’assomption.
Quant au feu de Tapas, il ne s’agit pas de nous jeter tout entier dans son bûcher (ce qui reviendrait à une destruction, avortant alors notre avancée sur le chemin spirituel) ; ce feu, il s’agit plutôt de nous y éclairer, nous y chauffer et nous y cuire comme un pain doré à la Lumière du Soleil afin de nous rendre de plus en plus prêts pour le grand festin de notre épiphanie.
Je vous remercie, Denis, de donner de votre temps pour ces échanges si enrichissants.
PS : Je suis déjà allée consulter votre parcours depuis vos premiers commentaires ici, Denis. Je ne pouvais tout de même pas me contenter de ces commentaires de qualité sans aller explorer par moi-même l’identité de leur auteur… 😉
24 janvier 2019 @ 15 h 00 min Alin
Merci pour ce bel article, j’ai continué mes recherches et ai trouvé quelques exercices pratiques pour Pratyahara, ainsi que la référence du livre de Frawley. Connaissez-vous cet auteur ?
https://yogasatya.fr/2019/01/17/pratyahara-preparation-a-la-meditation/
Merci !