D’accord, vous n’avez pas demandé à naître. D’accord, vous n’avez pas choisi de naître dans ce corps-là (ceci dit, vous auriez pu plus mal tomber… Sans vouloir faire de jugement de valeur, les hyènes et les morses ont quand même bien du mérite !). D’accord, donc, vous n’avez pas demandé à être incarné et surtout vous n’avez pas choisi d’être incarné dans ce corps-là qui est le vôtre.
Mais puisque pour vivre, vous ne pouvez faire sans, il va bien falloir apprendre à faire avec. Et autant vous prévenir tout de suite : ça peut prendre toute une vie. De toute façon, vous n’en aurez qu’une (en tout cas, dans ce corps-ci) ! Et étant donné que vous n’avez aucune idée du temps qu’elle peut durer, cette vie, il vaudrait peut-être mieux s’arranger pour s’approprier les lieux paisiblement sinon ça risque d’être sacrément pénible et de paraître « diablement » long.
Alors, d’accord, ce corps vous appartient, vous en êtes le seul propriétaire et l’unique occupant – jusqu’à preuve du contraire – mais est-ce que cela vous donne pour autant tous les droits ?
Dans le fond, c’est pas mal un corps, ça permet de sentir et de ressentir, d’agir et d’interagir, d’être mobile et immobile, de donner et de recevoir, d’expérimenter le plein et le vide. Et puis c’est bien pratique pour porter et transporter le précieux contenu qui réside à l’intérieur…
Mais il ne faudrait tout de même pas croire que vous pouvez en faire tout ce que vous voulez. Non, non ! Votre corps a ses petites (et parfois ses grandes) exigences ! Il réclame d’être bien servi pour pouvoir bien servir : du repos pour pouvoir déployer l’amplitude de ses mouvements, de la lumière pour pouvoir éclore chaque matin au jour nouveau qui naît, de l’engrais de qualité pour pouvoir croître et fructifier, de la douceur pour pouvoir développer sa force et ses potentialités. Et si vous décidez d’ignorer, voire de bafouer ces besoins primordiaux, il serait présomptueux de penser que vous pourrez échapper à des représailles. Parce que votre corps n’est pas le simple contenant de toute la prodigiosité de l’âme qu’il héberge. Il est intelligent, figurez-vous !
Il est possible que vous soyez, à un moment donné, tenté de l’oublier, de le dominer, voire de vous en débarrasser, le considérant comme l’obstacle matériel vous empêchant d’accomplir votre dessein spirituel. Vous chercherez à maîtriser et à dépasser votre corporalité[1] et cela semblera marcher pendant un certain temps : votre corps est conciliant, il saura s’adapter – jusqu’à un certain point, seulement – à votre volonté de vous désincarner et de vous désincarcérer de lui, convaincu que vous êtes qu’il vous détient prisonnier.
Sans même forcément être aspirant à l’évasion éthérique de votre cellule organique, les liens qui vous unissent, votre corps et vous, ne sont pas à l’abri d’être tendus ou distendus.
Quoi qu’il en soit, vous avez pris le pli de rester sourd aux messages qu’il vous envoie régulièrement afin de vous rappeler à son (plus ou moins) bon souvenir. Mais vous ferez moins le malin le jour où il décidera de se faire entendre plus fort (et peut-être même plus violemment) !
C’est en cherchant à transcender votre incarnation physique par une dissociation de votre corps que celui-ci pourrait véritablement devenir l’obstacle contrecarrant votre cheminement et votre avancement. Or, « qui veut voyager loin ménage sa monture »… Il semblerait donc judicieux de reconnaître tout l’intérêt que vous avez à vivre dans une entente cordiale[2] avec votre corps. Et ça, c’est un apprentissage à chaque instant.
C’est là où la voie du Yoga peut être révélatrice, réparatrice, et même salvatrice.
Révélatrice parce qu’elle éveille en vous la conscience, jusqu’ici endormie, de la division intérieure qui vous mène à entretenir une relation discordante, voire destructrice, à votre corps ; elle développe en vous la compréhension de l’importance – que dis-je ! la nécessité ! – de prendre soin de lui (de vous) plutôt que de le négliger, le maudire, l’abîmer et le punir d’exister.
Réparatrice parce que, dès l’instant où vous commencez à vous engager dans cette voie du Yoga, c’est déjà le signe prometteur et réjouissant que vous souhaitez cesser la guerre intestine qui vous met délibérément ou secrètement en lutte contre votre propre royaume ; progressivement, vous lâchez prise, les armes et l’armure que vous vous êtes vous-même forgé ; et vous découvrez que, loin d’être un ennemi à combattre, voire à abattre, votre corps est en fait un allié à apaiser, consoler, protéger et aimer.
Et salvatrice parce que, outre le fait qu’elle vous apprenne à faire l’expérience de votre enveloppe charnelle en vous mettant dans la peau de toutes sortes d’animaux (vous noterez au passage qu’étonnament il n’existe pas de posture de la hyène ou du morse…), outre le fait qu’elle vous invite à investir votre propre territoire pour faire voyager le Souffle et l’Énergie dans ce paysage exotique et si peu exploré que vous êtes, outre le fait qu’elle vous confère la conscience et la connaissance de votre corps d’une part et la consistance et la constance de votre esprit d’autre part, la pratique vous éduque surtout à instaurer la Paix entre ces deux (corps et esprit) qui ne font qu’un.
Cela se concrétise par la pacification et l’harmonisation de votre relation au mouvement, au sommeil, à la nourriture, aux émotions, aux sensations, aux autres, à vous-même, au Monde, à la Vie. Et tout cela s’opère subrepticement : il faut s’y prendre avec subtilité et délicatesse pour desceller les mauvais traitements les plus ancrés.
Ces mauvais traitements sont tissés aux teintes d’orages amers, de bleus sourds, d’épines de roses, d’éclats de verre, d’unité violée, … Ils sont le témoin du trop-plein et l’aveu du trop-peu dans le procès où les excès doivent être condamnés et les plaintes tues entendues.
Il s’agit alors d’abolir toutes les injures, tous les outrages avec lesquels vous vous sanctionnez : vous blesser ne vous aidera en rien à progresser ; le penser ne vous amènerait qu’à régresser.
Qu’en est-il concrétement lorsque la violence et la cruauté sont à tel point incorporées qu’elles en sont normalisées et banalisées ?
En rétablissant la communication et la cohésion entre un corps et un esprit déconnectés l’un de l’autre, peu à peu, la pratique vous oriente à vous intéresser à ce qui en vous est délaissé, à occuper ce qui en vous est déserté, à accepter ce qui en vous est refusé, à reposer ce qui en vous est épuisé, à bouger ce qui en vous est paralysé, à nourrir ce qui en vous est affamé, à réanimer ce qui en vous est meurtri, à reconstruire ce qui en vous est détruit, …
Les autres corps étant déjà tous habités, c’est dans ce corps-ci que vous êtes apparu au Monde. Il va donc de soi que c’est dans ce corps-ci que vous avez à laisser librement circuler la Vie sans faire entrave à celle-ci. Vous savez certes que vous n’y resterez pas pour l’éternité. Mais espérer accèder à l’Elévation de l’Ame en la déraçinant ardemment du corps dans lequel elle est pour l’instant plantée la priverait de la nourriture par laquelle cette expérience terrestre est destinée à l’enrichir.
Ceci est votre corps, vivez et mangez.
« l’Illumination se reçoit, elle ne se gagne pas. Il faut se mettre en position d’être prêt, à travers la pratique du yoga, mais il n’y a pas de logique. Ce n’est pas parce que l’on a souffert, martyrisé son corps que la récompense tombe comme un fruit mûr. », Arnaud Desjardins.[3]
Marie Ghillebaert
[1] Par « corporalité », il faut comprendre la notion de « corps » pris à la fois dans sa dimension anatomique (les différents organes, os, muscles, etc. qui le composent), physiologique (les différentes fonctions qui l’animent : digestive, respiratoire, métabolique, etc.) et morphologique (la forme et l’apparence du corps : longueur, largeur, masse, volume, etc.), mais aussi dans sa part sensitive (par ses perceptions sensorielles : la fatigue, le chaud, le froid, la faim, etc.) et émotionnelle (par des indicateurs tels que les frissons, les palpitations cardiaques, les tremblements, etc.). Il s’agit donc en fait de notre entité vivante dans son sens le plus concret : c’est ce que nous sommes matériellement, ce que l’on peut voir, percevoir de façon empirique ou même savoir par la connaissance intellectuelle et scientifique.
[2]Au sens étymologique de « cordiale » : « qui vient du cœur » ; il s’agit donc d’une entente aimante.
[3]Arnaud Desjardins, Yoga et Spiritualité, l’Hindouisme et nous, 1964.
SECRETS ET SAGESSE DU CORPS – MEDECINE DES PROFONDEURS
(Un livre à lire)

À Propos de Marie Ghillebaert
Marie a étudié la sociologie et l’ethnologie. L'humain l'intéresse. Elle étudie, pratique et transmet le Yoga avec enthousiasme. Après avoir suivi une formation Viniyoga avec Claude Maréchal, elle a été diplômée ETY et elle est à présent enseignante IFY . Au cours de plusieurs stages, elle a reçu l'enseignement de Michèle Lefèvre (Yogamrita) en Yoga et Ayurveda. Considérant qu'elle a encore tout à apprendre, elle fait de chaque voyage en Inde l'occasion de développer son expérience et sa connaissance du Yoga en suivant des enseignements de différentes traditions. Le Yoga qu'elle transmet est ainsi le fruit des diverses inspirations qui l'épanouissent dans sa pratique personnelle et qu'elle a à cœur de partager avec ses élèves à Lille et dans les Flandres
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'Vivez et mangez, ceci est votre corps livré pour vous' have 8 comments
13 juin 2015 @ 20 h 40 min Denis
Le corps est notre allié pour aller vers la lumière de l’esprit, il doit donc être fortifié, maintenu en bonne forme et on doit faire bien sur avec lui, qu’il soit souple ou pas, léger ou pas, jeune ou vieux, c’est le temple où tout va se passer.
Le nier serait nier son temple et donc nier une partie importante de cette ensemble soudé pour quelques années sur terre…
Mais nous devons entrevoir que le corps est un refuge pour le mental qui n’arrive pas encore à être autonome…
Si nous avons un corps c’est que notre mental est dans l’activité, l’action et le monde humain correspond à cette étape qui est rajasique.
Pour comprendre cette idée de refuge il nous suffit de nous remémorer les nuits où nous sommes réveillé par un cauchemar et comme nous sommes heureux de nous retrouver dans notre chambre mais surtout dans notre corps !
Le corps est lourd et lent, il ne se transforme pas à la vitesse du mental, il met 16 ou 17 ans à devenir adulte et toutes les énergies agglomérées pour qu’il fonctionne disparaissent après la mort du corps en quelques jours, pour que nous redevenions cet être céleste et léger d’avant l’incarnation que finalement nous sommes bien plus que ce corps. Ce corps céleste (linga) vivra jusqu’au moment où notre vide, que nous sommes et que nous appelons esprit retournera au vide, libéré de sa « cage d’énergie ».
le Yoga n’est donc une pratique qui concerne le corps !
Il ne faudrait pas que la pratique soit orientée vers lui ou encore vers le personnage, le risque est soit l’attachement au corps, à sa souplesse, sa maigreur, sa suractivité (très étonnante chez beaucoup de gens des villes !!!) ou encore son illusoire beauté qui pourrait emporter le personnage dans la jubilation des postures et tout cela tomberait dans la plus grande des ignorances, celle de s’identifier et se limiter au corps…
Combien de cours ne parlent que de muscles, de tendons, d’articulations et si peu d’énergie, ou encore des nadis principaux d’Ida, Pingala, Susumna, combien de cours osent amener les pratiquants vers l’Esprit et faire vivre les pratiquants des expériences sur l’esprit ?
Le Yoga intérieur propose d’orienter la pratique vers l’autonomie de notre esprit et la maitrise paisible de de la Conscience afin de dissoudre toute trace de corps (physique, énergétiques), de personnage et de retourner à la source.
Nous ne devrions pas rester dans l’extérieur d’une posture, chercher l’illusion d’une « posture parfaite » et passer par fumeuse « contre posture » qui annule toute la pratique. Nous ne devrions pas rester dans la forme extérieure qui est une erreur très souvent observée dans ces nouvelles pratiques, « styles de Yoga » si loin de l’axe de la tradition, la forme, comme un linga nous renvoie à un archétype, ou à des espaces d’énergies, des mondes, ou encore mieux à la prise de conscience de l’Esprit…
16 juin 2015 @ 15 h 27 min Yoganova
Bonjour Denis, comme d’habitude vous touchez juste. C’est vrai que la tradition parle bien plus d’énergie, de nadis et de corps subtils que du corps physique lui-même.
En cela notre obsession toute moderne pour les milles et un détails anatomiques des postures de Yoga est une dérive.
Il faut signaler tout de même que la vision du corps change selon que l’on parle de traditions « védantiques » ou « tantriques ».
Je pense personnellement que le Hatha-Yoga est une pratique issue du Tantra qu’il soit Kashmirien ou autres et que dans ces traditions on ne perçoit pas le corps comme le tombeau de l’esprit mais comme son temple. De ce fait, prendre soin de son corps, c’est prendre soin du corps (du mandala) de la divinité qui l’habite.
Après c’est très clair que l’on ne doit pas pratiquer le yoga JUSTE à ce niveau purement physique, les asanas doivent lui donner de la fluidité, de l’expansion et de la transparence… Je pense que c’est à cette transparence du corps que mène la pratique du Hatha-yoga bien comprise.
C’est cette « transparence » du corps qui permet plus tard son dépassement et donc la perception d’autres corps plus subtils appelés Koshas en Sanskrit.
Comme vous l’avez justement souligné, vivre sa vie au simple niveau organique est un gâchis et une prison.
Merci encore pour vos intéressantes précisions.
16 juin 2015 @ 17 h 19 min Denis
Merci pour votre commentaire !
En relisant mon message je vois une faute (il y en a certainement d’autres…) qui me gène…
J’ai écris : « le Yoga n’est donc une pratique qui concerne le corps ! »
Et il manque le « pas » dans la phrase !
Donc :
le Yoga n’est donc pas une pratique qui concerne le corps !
Merci à vous pour votre site
17 juin 2015 @ 10 h 06 min Marie
Un grand merci Denis pour votre commentaire, d’une grande justesse, comme d’habitude !
Je vous suis en tout point. Plutôt que me mettre en colère (je n’ai pas la prétention de détenir LA Vérité), voir ceux et surtout celles qui pratiquent uniquement le Yoga comme une pratique d’entretien du corps comme une sorte de fitness au nom exotique parce que « Aerobic » c’est trop connoté 80’s, me désole… Il se prive tellement de l’essentiel… J’espère de tout mon coeur qu’un jour le leur s’ouvre pour accueillir tout ce qui fait la richesse et la beauté du Yoga : le corps n’est pas le Dieu devant lequel se prosterner ; le corps est celui qui se prosterne devant le Dieu qui l’habite…
A vrai dire, j’ai beaucoup de mal à comprendre cette mode d’appeler tout – et surtout n’importe quoi – « Yoga »… Ce Yoga-là, qui n’en porte que le nom, me semble souvent n’être qu’une sorte de pot pourri – plus « pourri » que « pot » d’ailleurs… – compilant des chiens tête en bas qui se dandinent les fesses et lèvent la papatte en rythme ; des squats pour se muscler les quadriceps pour être au top sur les plages cet été ; deux-trois respirations superficielles à la fin, histoire d’avoir casé du souffle parce qu’il faut bien… Où est donc le sens à tout cela ? Sans doute couvert par la musique qui recouvre le son pur de l’Ujjayi (qui n’est de toute façon pas enseigné, la plupart du temps…), sans doute enterré sous les couches d’abdos (puisqu’il serait vain d’espérer qu’Uddiyana bandha soit mentionné…). Bref…
Aranud, merci pour cette phrase qui ne quittera pas mon esprit et mon cœur : « dans ces traditions on ne perçoit pas le corps comme le tombeau de l’esprit mais comme son temple. De ce fait, prendre soin de son corps, c’est prendre soin du corps (du mandala) de la divinité qui l’habite. » C’est exactement en cela que le Yoga m’a été si salutaire et continue à l’être… Parce que parfois, on ne commence pas à pratiquer le Yoga pour sculpter son corps, on commence à pratiquer pour le sauver, en prenant conscience que le corps n’est pas l’obstacle à l’élévation spirituelle, il en est un outil. Donc, en effet, nous avons plus à gagner à en prendre soir plutôt qu’à le détruire. (cela reste en travail…)
Pour terminer, puisque ce qui y est écrit est sans nul doute bien plus précieux que tout ce que je pourrai moi-même écrire, je partage un passage du Vijnana Bhairava que j’ai justement lu ce matin…
« L’écoute du corps amène la conscience à « s’emboiter » dans la structure corporelle. Un corps vivant est un corps habité par la conscience. Sans écoute de la sensation, le corps n’est pas habité, et les maladies s’ensuivent.
Une relation saine au corps passe par une intimité avec la sensation. Cette intimité n’est pas un attachement, mais le signe d’une conscience éveillée. Pour conduire sa voiture, le conducteur doit s’assoir confortablement en elle. Ce n’est que lorsqu’il est bien installé, qu’il peut utiliser au mieux le véhicule. S’identifier au véhicule est la conséquence d’une distraction, d’un oubli de ce que nous sommes. Le sens du « je suis » ne trouve pas sa racine dans l’objet, mais dans la nature du sujet. Fermement établi dans la nature du sujet, le « je suis » resplendit tel un son triomphant qui emplit l’espace du silence. Dans cet espace de conscience silencieuse, le corps apparait comme une émergence et une prolongation de la conscience. Sans conscience, le corps est inanimé. Habité par la conscience, le corps devient un instrument du divin. », Vijnana Bhairava 50
Je vous souhaite une bien belle journée ensoleillée, Denis, Arnaud, ainsi qu’à tous les lecteurs de Yoganova…
17 juin 2015 @ 14 h 47 min Denis
Merci Marie !
Beaucoup pratiquent ces nouveaux Yoga, mais pour autant il semble qu’il y ait encore des gens qui cherchent plus profondément et cela est rassurant…
Personnellement dans mes cours je ne fais que très peu pratiquer Ujjayi, préférant de loin le silence et la joie d’Ananda quand elle se révèle sur un non souffle. J’ai bien peu que ce Ujjayi « victorieux » ne soit lui aussi issu de la vision « sportive » de Krishnamacharya.
Nous savons aussi que les termes très élogieux dans le Yoga cachent souvent quelque chose d’assez primaire…
En développent l’écoute des gens dans la salle, les espaces ont ressens très bien tout le monde, on perçoit leur énergie et celui qui respire mal se manifeste bien mieux qu’en faisant un bruit de cafetière qui couvre tout le reste…
Je vous donne la traduction de Lilian Sulburn de la strophe 50, je vous conseille sa traduction, elle est très précise aussi.
50/ Du fait que la pensée est absorbée dans le dvâdasantâ, chez un homme dont l’intellect est ferme et dont le corps est pénétré de toutes parts de Conscience, se présente alors à lui la caractéristique de la Réalité bien affermie.
Bonne journée
20 juin 2015 @ 9 h 31 min Marie
Bonjour Denis !
Merci pour le partage de cette traduction ! Il se trouve que je commence justement à découvrir le travail remarquable de Lilian Sulburn… C’est d’une richesse incroyable !
Concernant l’Ujjayi, oui je comprends ce que vous dites… Vous avez sans doute à l’esprit, et à l’oreille, le son exagéré émis par le souffle des Ashtangis… Et je partage votre avis : rien de très naturel là-dedans. Et… est-il bien nécessaire de faire du « bruit » pour se prouver (et prouver aux autres) que l’on existe ?…
).
Mais, pour moi, cela n’est pas l’Ujjayi. Dans la tradition d’où vient mon enseignement (Viniyoga, Desikachar, Chennai), il m’a été formellement enseigné que l’Ujjayi n’était en aucun cas bruyant. Au contraire, le pratiquant recherche un son si subtil que personne n’est censé l’entendre, pas même lui-même. En fait, il s’agit d’un son intérieur, une vibration, un son qui ne s’entend pas mais se ressent. Ce que j’exprimais, peut-être maladroitement, dans mon commentaire précédent, c’est cela : le silence de l’Ujjayi qui ne résonne nulle part ailleurs que dans la caverne du cœur. Une vibration intérieure et silencieuse qui, personnellement, dans ma pratique, m’apporte la consolation et l’apaisement, le sentiment puissant de la présence d’une Energie qui me dépasse, à travers cette circulation fine et subtile du Prâna.
Mais, je ne répéterais jamais assez que j’ai encore besoin d’apprendre et d’expérimenter énormément et tous vos conseils seront d’ailleurs les bienvenus, que ce soit ici, sur Yoganova (afin d’en faire profiter les autres lecteurs) ou bien de façon plus personnelle (nous savons maintenant chacun où nous trouver pour échanger
Quoi qu’il en soit, lorsque vous pensez à Krishnamacharya, je vous invite vraiment, Denis, à ne pas vous arrêter au développement essentiellement et même presque exclusivement physique du Yoga par B.K.S Iyengar (tellement anatomique et parfois, selon moi, à côté de l’état de Yoga puisque tout le monde est censé y reproduire exactement les mêmes postures comme sur les photos, indépendamment des caractéristiques propres de chacun… où est l’écoute intérieure là-dedans, Dieu seul le sait…) ou Pattabhi Jois (qui a tendance à trop développer Manipura, au détriment de tout le reste, avec tous les déséquilibres sous-jacents que nous connaissons bien…).
Dans l’enseignement qui m’a été donné, l’accent a vraiment davantage été mis sur le Pranayama, l’étude de Soi, l’adaptation des postures aux pratiquants (c’est d’ailleurs bien le sens de « Viniyoga » que l’on trouve dans le Yoga-Sutra III.6).
Pour avoir étudié le Yoga Rahasya (même si, je sais, les origines de ce livre sont bien peu fiables…), je dirais que l’Ashtanga Vinyasa Yoga n’est pas une mauvaise pratique en soi mais je la conseillerai plutôt pour les très jeunes adultes pour lesquels il y a cette importance de construire une confiance intérieure suffisante pour pouvoir construire les bases de la vie. Cela dit, je suis de celles qui n’ont pas cette tendance exclusive à vouer fidélité à une seule pratique… Il me semble qu’il y a un enseignement à tirer de toute chose, quelle qu’elle soit, pourvu que l’on ne s’arrête pas à ce qui est explicitement dit, mais que, au contraire, nous cherchons à explorer, par nous-mêmes, dans la pratique justement, le sens que nous pouvons nous-mêmes trouver à ce que nous faisons. Ainsi, on peut très bien pratiquer à la fois l’Ashtanga Vinyasa Yoga en y appliquant la subtilité que l’on peut trouver dans le Hatha Yoga traditionnel. Et puis surtout, pratiquer l’Ashtanga Vinyasa Yoga en plus du Hatha Yoga. Mais peut-être que je dis cela maintenant parce que je n’ai pas encore suffisamment cheminé au point d’avoir trouvé LA pratique qui me convient totalement et qui, de ce fait, rendrait toutes les autres bien pâles… Mais voilà justement l’utilité d’expérimenter différentes choses avant et afin de pouvoir trouver SA Voie. Voilà aussi et surtout pourquoi la présence d’un guide est si essentielle, je commence à m’en rendre compte (enfin !), de façon de plus en plus aigue, grâce aux discussions si éclairantes que je peux avoir avec une connaissance que nous avons en commun 😉 dont les conseils sont tellement porteurs et bienvenus pour moi…
Au plaisir d’échanger avec vous, Denis, je vous souhaite un excellent week-end !
20 juin 2015 @ 11 h 05 min Denis Billo
Merci Marie pour votre belle réponse !
Pour ce que vous dites sur Ujjayi, je suis bien d’accord avec vous, on peut entrer dans un souffle qui s’allonge de plus en plus avec ce Ujjayi silencieux bien loin des sons « grossiers » qu’on entend parfois et se frottement du souffle éveil le feu dans le cœur comme deux bouts de bois qui se frottent (inspire expire) nous dit le Jinana Bhairava Tantra.
Mais si cela est intéressant, laissez le de coté quand la posture entre dans son silence et quand l’énergie monte, car alors il serait dommage de rester dans « la respiration » même la plus légère, le non souffle Kevala se trouve dans la plus grande subtilité, justement entre inspire et expire…
Nous en arrivons alors à ce qu’est « pranayama », l’allongement du souffle jusqu’à ce qu’il disparaisse…
Et il disparait de très longues minutes parfois…
De fait il nous faut travailler notre pranayama dans ce sens.
Par exemple faire un Nadi Shodana vers un souffle en 16/64/32 (16 » pour inspirer, 64 » en rétention et 32 » en expire et cela sur 20 souffles minimum)
Aujourd’hui ce « moyen » pranayama est très difficile pour l’homme actuel qui ne dispose plus de grandes énergies, ni de concentration. Pour autant en travaillant on y arrive encore…
Mais force est de constater que cette démarche si fondamentale dans le Yoga ne s’enseigne plus du tout, que ce travail n’est réalisé par personne et pourtant, tous ceux qui ont fait ce travail pourraient dire le véritable chemin parcourut, car seul le feu du pranayama transmute le corps, les énergies et révèle l’esprit. (Cf Yoga Tattva Upanishad)
Vous parlez de « L’adaptation des postures aux pratiquants », je crois que nous devons là aussi essayer de comprendre où la limite se situe…
Par exemple, une personne ne touche pas ses pieds dans la pince, si on adapte la posture à la personne on va lui demander de plier les genoux et alors Pascimotanasana ne sera plus rien du tout…
Pascimotanasana veut dire « étirement de la face Ouest du corps », puisqu’on pratique normalement vers l’Est, c’est donc bien le dos qui doit s’étirer, oui mais quoi dans le dos ?
Nous devons voir notre corps comme un instrument de musique et les cordes de cet instrument son Ida, Pingala et Susumna, alors ce qui compte dans cette posture c’est que ces cordes soient tirées pour vibrer vers l’avant dans un même axe, et donc la colonne ne doit pas s’arrondir et la recherche de poser la tête sur les genoux doit être faite que par ceux qui ont une très grande flexion avant. Mais en aucun cas la posture est « adaptée » au pratiquant, la posture est un archétype parfait dans son idée et c’est celui qui fait qui va s’adapter, en posant par exemple les mains sur les tibias, mais en gardant l’idée de la posture comme un fil d’Ariane vers quelque chose qu’il ne connait pas et auquel, si il veut avancer sur ce chemin, il doit s’y fier et avoir confiance…
Bonne pratique !
22 juin 2015 @ 14 h 13 min Marie
Merci Denis pour vos conseils dont les images sont joliment parlantes… (les cordes de l’instrument…
) !
C’est de cette façon que je pratique et que je tente d’enseigner.
Mais il est vrai que je m’aperçois des manques laissés par ma formation… J’ai énormément découvert et je continue à énormément découvrir par ma propre pratique, mais… de vastes territoires restent encore inexplorés…
Cela dit, il y a une certaine joie à se dire qu’il reste encore tant à découvrir. Le tout est de ne pas rester au bord de la route en regardant le paysage défiler, de crainte d’être trop imparfait pour s’y fondre… Mais plutôt, prendre part – de façon pleinement vivante (c’est bien cela que symbolise ce suspens entre l’inspir et l’expir dont vous parlez : être pleinement vivant) – à tout ce qui est là, prêt à nous tendre la main et les bras. Quel beau voyage que le Yoga !
Il me reste encore un long chemin avant d’atteindre Nadi Shodhana en 16/64/32 (il m’a été enseigné, en théorie, au cours de ma formation mais de si longues suspensions pleines m’ont toujours semblé inatteignables…). J’y travaille… 😉
Bien à vous.